Ce matin, j’ai découvert un stock de papier !
Entre l’humidité et la chaleur, je ne pensais pas qu’il puisse en rester quelque part.
Fouinant dans des ruines que je n’avais pas explorées jusqu’à présent par ce qu’elles paraissaient instables et dangereuses, blocs de béton et de ferrailles diversement enchevêtrées, je suis tombé dessus : une caisse en plastique pleine de documents sous des planches de bois qui m’avaient attiré parce que combustible potentiel pour le chauffage et la cuisine.
Ce sont les seuls matériaux disponibles, en effet, aucun arbre ou équivalant n’ont résisté.
Ah ! Le plastique ! Le truc super-polluant qui met des siècles à disparaître. Ses qualités « non environnementales » avaient protégé ces précieux feuillets.
À l’intérieur de la caisse : des factures de téléphones portables imprimées que d’un côté ! Quel gâchis ou plutôt, quel bonheur !
Toute cette surface à noircir ! Enfin parler à quelqu’un, un éventuel lecteur dans un avenir improbable.
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Je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé.
Quand je me suis réveillé, il y a un an, cinq mois et trois jours (si j’en crois les traits gravés avec un morceau de fer rouillé sur un bout de palette en bois) j’étais au fond d’un puits que j’essayais de nettoyer et quand j’en suis sorti… Tout était ravagé.
Vive le bricolage ! Si je n’avais pas eu cette idée saugrenue de vouloir cesser de payer mon eau, faire sécessions avec le libéralisme, être autonome dans le respect de l’environnement et des valeurs de l’homme sain dans un milieu sain ! Bref si je n’avais pas voulu économiser un peu sur les factures de flotte, je ne serais pas là.
Quand j’ai dit ravagé, c’est par ce que je n’ai pas trouvé d’autres mots.
J’ai bien essayé d’en inventer :
« Rasépourripuant »,
« détruitsaliglauque »,
J’ai vite arrêté.
Comment décrire ça ? Vous vous rappelez les images de Varsovie pendant la Deuxième Guerre mondiale ? Des bouts de bâtiments, des gravats, de la poussière, un ciel gris rouge brumeux sans soleil, un silence strident qui déchire les tympans et surtout, surtout … Personne !
Sauvé au fond d’un puits, j’ai très vite été au fond du trou !
Personne de vivant.
Au lieu d’envisager tout de suite l’urgence : Où vais-je dormir ? Que vais-je manger ? Qu’est-ce qu’il y a à la télé ce soir ? Je me suis acharné à chercher des survivants, l’instinct grégaire sans doute, la peur de la solitude ?
Au bout d’un certain temps (?) à courir dans tous les sens j’étais crevé, le souffle court, un goût bizarre dans la bouche.
Je ne peux tout même pas être le seul à avoir eu cette chance ?
Ou cette malchance ????
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Il y a sûrement tout un tas de saloperies autour de moi, radiations, pollutions, etc.
Assis sur cette certitude j’ai pensé au suicide.
Les modes opératoires non douloureux n’étant pas disponibles, je ne le sentais pas trop dans l’immédiat.
Pas même une ruine assez haute d’où se précipiter dans le vide sans risquer de survivre, handicapé de surcroît !
J’aurais été, bien que handicapé, la seule référence de l’être humain vivant.
Un être avec des jambes ne fonctionnant pas, qu’il traîne derrière lui en rampant comme des appendices inutiles, comme une punition lui rappelant à chaque instant le mal que ses semblables avait fait à la planète et sans doute responsables de son état de désolation.
C’est étonnant comme on peut tenir à soi-même ! Même, où surtout quand il n’y a plus rien d’autre à qui, à quoi tenir. Mourir en sachant que personne ne sera choqué, peiné !
Aucune âme pour pleurer, souffrir, dire sa peine.
Même quand on doute de pouvoir observer , puisque que mort, ses manifestions de compassions ou d’amour, cela arrête le geste … mais pas l’envie.
Mais quelle motivation trouver ?
L’espoir qu’un (ou une ?) autre nettoyeur de puits, égoutier, spéléologue ou autres « rat » de souterrain ait survécu quelque part dans ce monde que l’on sait immense ?
Qu’une expédition de recherche est en route, qu’il reste des zones préservées ou la civilisation va pouvoir redémarrer autre chose ? Autrement ?
Ou plus simplement la peur de perdre le peu qui reste : sa propre existence.
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Je me suis donc attelé, geste après geste, pas après pas, jour après jour, à vivre.
Bricoler un gîte en fonction des nouvelles conditions météorologiques, canicule humide le jour, froid glacial la nuit…
Repérer les différents éléments consommables aux alentours…
Les ruines sont comme un immense magasin de bricolage, il y a tout ce qu’il faut !
J’ai fait ma cabane, peaufiné mon intérieur, soigné les détails. Tout de suite, j’ai décidé de voir grand : cuisine, chambre, pièce à vivre et à recevoir ?
Des étagères pour ranger les trouvailles glanées ici et là, des rideaux aux fenêtres (ouvertures sur l’extérieur) même si je n’ai pas trop de problèmes de voisinage et de vis-à-vis, tout le confort de l’homme moderne !
Pour manger, c’est plus compliqué. Il a fallu retrouver dans les ruines ce qui ressemblait à une grande surface et creuser jusqu’à tomber sur les rayons boîtes de conserve. Quatre jours de recherche ! Je sais, c’est peu mais sans rien à manger, c’est long.
Pour boire : des flaques, il y en a plein partout. Je continue régulièrement à chercher le rayon boisson sans succès pour l’instant, mais avec une motivation particulière.
L’eau que je bois pue, ce que je mange pue, l’air que je respire pue, je pue ! Même les boîtes dès que je les ouvre, puent. Tout ça est certainement empoisonné d’une façon ou d’une autre, et alors ?
Pour l’instant, Je suis toujours là.
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Finalement peu de choses matérielles me manquent vraiment.
L’enfer, c’est les autres, l’absence des autres, au moins un autre ou une autre …
Stop ! Censure ! Sujet tabou qui sape le moral !
Des fois je pense à cela. Tout ce qui me fait vraiment souffrir. Je me les chantonne même, à voix haute, pour bien enfoncer le clou !
« Ta femme, tes enfants, tes amis ! Parler, partager, aimer ! Etc.…, comme ça pendant des heures (?).
Je fais l’autiste, je me balance d’avant en arrière en chantonnant, je me lève, je hurle, je me roule par terre : j’essaye de devenir fou, de basculer !
Cela me semble plus confortable que la mort : le suicide mental !
Mais, pas moyen !
Chaque fois je me retrouve couché au sol, trempé de sueur, mais conscient ! Avec une vision claire, presque analytique de la situation dans laquelle je suis.
C’est comme s’il était impossible de devenir fou quand on est seul, comme si on avait besoin des autres pour basculer, comme si c’était les autres ou le rapport aux autres qui pouvait déclencher le phénomène, ou faire référence.
Je suis sans doute trop civilisé, trop cérébral, ou pas assez ?
En trouvant ce papier, en écrivant, j’avais un objectif : ne faire que ça, tant qu’il y aurait de la place sur une feuille et après…
Quoi après ?
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Il me reste encore un stock de relevés bancaires utilisables.
Mais depuis trois jours : nouveauté, je me relis !
Pas pour corriger les fautes d’orthographe ou de style !
C’est comme si je lisais quelqu’un d’autre…Cela fait du bien…et du mal. Putain ! Rarement vu un auteur aussi déprimant !
J’aurais préféré tomber sur un roman d’aventures ou de science-fiction, un truc pour échapper au quotidien.
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– Sucre en morceaux
– Fruits et légumes
– Bières
– Café
– Pain
– PQ
– Plein d’essence
– …
Une liste de courses !
C’est ma nouvelle manière pour « m’occuper-déprimer ! »
Le pire, c’est que je pars avec ma liste et que je cherche les éléments en me répétant qu’il ne faut rien oublier ! D’ailleurs aujourd’hui, j’ai trouvé l’essence…
Une vieille station, enfin, ce qui en reste.
Mais à la pompe ça coule encore. Alors J’ai laissé couler, longuement, jusqu’à faire une immense flaque, comme un lac avec des vapeurs irisées qui monte vers le ciel, comme des ondes de chaleurs…
Monter vers le ciel… C’est beau !
Je respire bien à fond depuis un moment déjà et j’ai sorti le briquet à gaz que j’économise soigneusement depuis des mois.
Finalement…
Vous ne me lirez pas !